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Référé Saint Dénec : CCPI 1, Justice 0

Ceux qui ont suivi le dossier savent qu’un premier référé avait été lancé en mars 2021 pour tenter d’arrêter avant qu’il ne soit trop tard le projet stupide et coûteux de transfert vers Lanildut des eaux usées traitées de la station de St Dénec, à plus de trois kilomètres.

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Visiblement dépassée par ce dossier très technique et dont l’Etat et la CCPI avaient fait tout leur possible pour cacher les pièces, la juge avait réussi à gagner un peu de temps en constatant que l’arrêté préfectoral qui autorisait ce transfert était caduc. Elle en concluait que les travaux qui s’ensuivaient n’ayant pas de fondement, elle n’avait pas besoin de statuer puisque légalement, ces travaux n’existaient pas. Une pirouette comme seul le droit administratif le permet : vous me demandez d’arrêter ces travaux en les déclarant illégaux et basés sur un arrêté illégal, mais en fait :  l’arrêté est caduc (donc, pas besoin de statuer sur son illégalité) et donc les travaux n’étant pas autorisés il n’y a pas à les arrêter, n’est-ce pas ?

Brillante conclusion, qui a permis à la CCPI de continuer les travaux comme si de rien n’était. Et qui a ouvert à la préfecture un boulevard, puisqu’il lui suffisait de ressortir quasiment sans le modifier son arrêté de 2018 pour que tout revienne au point de départ, obligeant les plaignants à repasser à la caisse pour rejuger le même dossier dans un deuxième référé dont le jugement vient de tomber ce 19 avril 2021

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On aurait pu penser que ce temps perdu aurait permis à la juge de creuser un peu plus le dossier au fond et de se demander s’il était bien raisonnable de détourner vers Lanildut les rejets de St Dénec … Hélas, la juge avait visiblement autre chose à faire. Ceux qui auront la patience de lire le jugement (encore plus illisible que d’habitude, la justice a décidément du mal à rester près du peuple !) y découvriront avec intérêt, entre autres considérations surprenantes :

que si vous injectez un liquide dans une buse qui débouche directement sur l’anse St Gildas, et bien… le liquide disparaît dans la buse ! Ainsi : « le rejet des
eaux traitées se fait dans la partie busée d’un ruisseau (rue Anse de Saint-Gildas – 29840 Lanildut) qui aboutit dans l’Aber Ildut », mais : « Il ne résulte ainsi pas de l’instruction que le rejet des eaux traitées se fera directement
dans l’anse Saint-Gildas » : il y a une buse, donc ce n’est pas « directement »

qu’il suffit de commencer le raisonnement par la conclusion (« Il n’en résulte pas davantage que le dispositif projeté serait susceptible d’affecter significativement ces deux sites Natura 2 000 ») pour pouvoir rejeter la demande d’une évaluation – imposée par la loi ! d’étude des incidences « Par suite, les moyens tirés de ce que devaient être réalisées une [… ]évaluation des incidences Natura 2 000 au titre de l’article L. 414-4 du même code ne sont pas propres, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté préfectoral du 7 avril 2021
et des travaux en cours de réalisation » (on rappelle au lecteur mais aussi apparemment à la juge, que c’est justement l’étude d’incidences qui permet de conclure qu’il n’y a pas d’incidences…)

Allez, pour finir, nous vous proposons de décoder le paragraphe suivant, extrait du jugement :

« Il ne résulte pas davantage de l’instruction que les travaux en cours d’exécution ne
seront pas réalisés conformément aux prescriptions de l’arrêté en litige et, notamment, que le
rejet des eaux traitées ne se fera pas dans la partie busée du ruisseau qui aboutit, 150 mètres en aval, dans l’Aber Ildut, le dispositif projeté prévoyant que les eaux traitées seront stockées dans un bassin à marée dans l’attente de la période de la journée la plus favorable pour satisfaire l’exigence tenant à ce que les rejets ne puissent se faire qu’avec un coefficient de marée permettant à l’exutoire du ruisseau busé de rester recouvert par les eaux. À cet égard, il n’est pas établi, ni même allégué, que persisterait un risque de remontée des eaux traitées vers le cours d’eau et la zone de stationnement du fait du débit important du rejet des eaux traitées
. »

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Décidément, un grand moment, qui ne pourra que conforter ceux qui doutent de la capacité de la justice administrative à traiter les dossiers environnementaux. Paraphrasant Clémenceau et son célèbre « La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique », on finira par en conclure que la justice administrative est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. Les lecteurs passionnés de ce jugement découvriront d’ailleurs dans les arguments même de la CCPI la phrase : « le projet diminuera drastiquement la pollution
organique du rejet dans l’Aber Ildut, du fait du traitement tertiaire mis en œuvre
 » : en voulant trop démontrer, la CCPI reconnaît ainsi que le détournement des eaux usées est totalement inutile depuis qu’on a mis en place un traitement tertiaire à St Dénec. Si ces eaux ne créent pas de pollution dans l’Aber Ildut, milieu semi-fermé, elles auraient donc pu être rejetées telles quelles dans le ruisseau de Melon, et tout ceci n’a servi à rien…

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Tout ceci n’est pas terminé ; on aurait bien aimé (c’est le but d’un référé) que les travaux soient arrêtés avant qu’il soit trop tard, d’autant que c’est nous abonnés qui les payons ; mais le Tribunal Administratif qui est saisi sur le fond aura l’occasion de se pencher sur ce dossier. Trop tard, mais c’est une question de principe.

Espérons que le Tribunal Administratif consacrera à ce contentieux à venir un peu plus d’expertise qu’en référé, et qu’il n’oubliera pas que ce dossier pose une question démocratique de fond, qui devrait interroger l’Etat et les collectivités et leurs élus : comment peut-on décider un tel projet, sans justification technique sérieuse, sans consultation et visiblement contre l’avis des citoyens informés, sans souci de l’environnement et sans étude d’impact, contre l’intérêt économique de ceux qui financent, et sans qu’à aucun moment il existe un moyen de s’arrêter pour réfléchir ? Comment se fait-il que des citoyens doivent saisir la justice pour faire valoir l’intérêt général que devraient normalement porter nos élus et l’Etat ?

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