Le scandale du détournement des eaux usées de St Dénec vers Lanildut

Cette page a été rédigée à partir des informations publiques et de celles obtenues en interrogeant les administrations et services. Les seules hypothèses formulées concernent les sujets sur lesquels les services ont refusé de communiquer les rapports, malgré de nombreuses sollicitations de la part des associations locales.

Aber Ildut

Le contexte : une station de traitement inefficace

Les eaux usées collectées dans trois communes (Lanildut, Porspoder et Landunvez) sont traitées par la station de traitement des eaux usées (« station d’épuration » ou STEU) de St Dénec située à Porspoder. Cette station est exploitée depuis plus de 10 ans sans jamais avoir reçu l’autorisation réglementaire d’exploitation.

Fonctionnant pourtant à la moitié seulement de ses capacités nominales, cette station ne pouvait néanmoins desservir plus de logements, qu’il s’agisse de logements anciens non encore raccordés au réseau d’assainissement, ou de nouveaux logements dont la construction ne peut être autorisée que si le traitement de leurs eaux usées est assuré. Une des raisons invoquées est l’insuffisance des zones d’infiltration ; en effet, les eaux traitées doivent être rejetées dans le milieu, mais en garantissant des impacts limités. Pour St Dénec, la solution retenue était l’infiltration dans une parcelle de moins de deux hectares, surface clairement insuffisante depuis le début pour permettre d’absorber les effluents de la STEU à sa capacité nominale, et apparemment même à demi-capacité.

Après des années d’inaction de la part des collectivités (Syndicat intercommunal d’assainissement SIALLP, puis CCPI lorsque la compétence lui a été transférée en 2014), les éléments qui ont déclenché une action ont été : d’une part, le constat de la pollution récurrente des eaux de baignade de la plage de Melon à Porspoder par le ruisseau de Melon, où aboutissent finalement les eaux traitées à St Dénec, encore chargées de bactéries ; d’autre part, le refus des services de l’Etat d’autoriser des extensions d’urbanisation dans la zone tant que la situation n’aurait pas été normalisée. Enfin, il est envisagé de raccorder la commune de Brélès sur la STEU de St Dénec…

Le projet : détourner les eaux usées vers Lanildut

Pour résoudre ce problème, la CCPI a lancé des études. Les solutions potentielles les plus simples ont apparemment été éliminées rapidement, soit sur la base de leur coût qui aurait jugé trop important (ex. rejet en mer par un émissaire qui aurait traversé des zones protégées) soit sur le constat qu’il était impossible de trouver à proximité de la STEU des surfaces suffisantes pour assurer une infiltration satisfaisante. Les études correspondantes ne sont pas disponibles, alors que ce sont celles qui ont apparemment conduit à retenir la solution du rejet dans le port de Lanildut, par une canalisation de plus de 3 km contournant en principe par le nord les zones humides protégées.

Au-delà de son coût (au total, près de 2 millions d’euros), cette solution présente des inconvénients majeurs : le rejet dans le ruisseau du Tromeur à Lanildut laissera s’écouler les eaux usées encore chargées de pollution dans l’Aber Ildut, déjà très pollué par les rejets en amont dans l’Ildut, et qui abrite notamment la plage du Crapaud et l’unité conchylicole de Porscave, mais aussi le port de plaisance et des activités nautiques.

Compte tenu de leur importance et de leurs impacts potentiels (sur l’environnement, la qualité de l’eau, la zone NATURA 2000 et au-delà le Parc Naturel Marin d’Iroise), ces travaux auraient dû faire l’objet d’une autorisation nécessairement accompagnée d’évaluation environnementale, et d’une enquête publique. Il est tout probable qu’une étude sérieuse aurait rendu impossible le projet prévu ; la CCPI a donc choisi de ne demander qu’une autorisation, procédure beaucoup plus légère, basée sur une étude conduite par le cabinet DCI. Déjà chargé par la CCPI de la rédaction des dossiers réglementaires pour les eaux de baignade (« profils de plage »), ce cabinet a produit une étude dont les insuffisances sont évidentes (cours d’eau rebaptisé « conduite d’eaux pluviales », mesures très limitées hors périodes de pollution, modélisations insuffisantes…), qui a pourtant suffi pour obtenir une autorisation préfectorale. Autorisation qui va d’ailleurs bien au-delà du champ de la demande, car elle en profite pour régulariser discrètement la situation réglementaire inconfortable de la STEU de St Dénec en l’autorisant enfin, sous prétexte de ces travaux de mise à niveau. Ce dossier a été traité par la CCPI dans une très grande opacité, les élus – et encore moins les citoyens – n’ayant pu accéder aux informations correspondantes, et étant informés essentiellement par la presse. 

Soutenu par le préfet, venu personnellement féliciter la CCPI de son action efficace, ce projet a été mené tambour battant, y compris pendant la période de confinement de mars à mai 2020…

Le projet de St Dénec : la partie visible de l’iceberg

Un projet très coûteux, autorisé illégalement, réalisé en marge de la réglementation… mais au fait, ce projet était-il nécessaire, et sera-t-il suffisant pour rétablir la qualité des eaux de baignade en Iroise, menacée à Melon mais aussi dans la plupart des plages de l’Iroise ? Rien n’est moins sûr…

D’où peuvent provenir les pollutions des eaux ?

Les principales causes possibles de pollution biologique et chimique des eaux (rivières, nappes, sources, eaux de baignade…) par les eaux usées sont représentées dans le schéma suivant :

Sources de pollution possibles par les eaux usées
Sources de pollution possibles par les eaux usées

On y trouve, sans surprise :

  • Les eaux usées d’origine domestiques, qui sont traitées (parfois de manière insuffisante lorsque les installations ne sont pas aux normes) par des installations d’assainissement non collectif (ANC, ou fosses septiques) (1), ou par la STEU (2) lorsqu’elles sont collectées par les réseaux d’assainissement collectif. Ce traitement est de la responsabilité de la CCPI ; les pollutions résiduelles sont chimiques (résidus médicamenteux) mais surtout biologiques (bactéries et virus ayant survécu au traitement) ;
  • Les eaux issues d’activités industrielles (3), essentiellement chimiques, qui peuvent être traitées dans la STUE – ce n’est pas le cas en Iroise, d’après le rapport périodique sur le prix et la qualité des services RPQS, toujours indisponible pour l’année 2018 sur le site de la CCPI, ou par des installations adéquates, sous le contrôle de l’Etat ;
  • Les pollutions associées aux cultures (4), essentiellement chimiques (engrais et pesticides, produits phytosanitaires), qui peuvent par lessivage se retrouver avec les eaux pluviales dans les cours d’eau puis dans la mer ;
  • Enfin, les pollutions liées aux élevages, de même nature en principe que les pollutions domestiques : pollutions biologiques (bactéries, virus) et résidus médicamenteux). Une partie des effluents est traitée dans des installations adaptée, notamment dans les grandes installations classées « ICPE », installations classées au titre de l’environnement (5) ; le reste (6) est épandu sur les champs cultivés. Ce traitement et ces épandages se font en principe sous le contrôle de l’Etat.

On voit que les principales sources de pollution microbiologique sont d’origine humaine ou animale. Ce sont ces pollutions qui sont surveillées par l’Agence Régionale de Santé (ARS), sur les plages et en été seulement, pour respecter une directive européenne sur les eaux de baignade, et ce sont des pollutions microbiologiques récurrentes détectées par cette surveillance qui ont motivé le projet de St Dénec/Lanildut.

Ces pollutions menacent aussi la qualité sanitaire des produits de la pêche à pied. Malgré une fréquentation notable de l’estran, aucune zone de pêche à pied n’est pourtant recensée dans la zone, ce qui a pour résultat de priver les usagers de la surveillance sanitaire de ces zones, assurée par l’ARS et l’IFREMER.

Zones de pêche à pied surveillées
Zones de pêche à pied surveillées – Source https://www.pecheapied-responsable.fr/

Pollutions d’origine domestique… ou autres sources ?

Avec les pollutions d’origine domestique (1) et (2), on voit que les autres causes potentielles de pollution microbiologique sont essentiellement liées aux élevages. Les animaux, principalement des porcs sur notre territoire, produisent en effet des rejets très semblables aux effluents domestiques.  

On peut supposer que la partie traitée dans les installations spécialisée (5) l’est correctement ; mais c’est impossible à vérifier pour les citoyens, qui n’ont aucun accès aux contrôles réalisés en principe par les services de l’Etat. 

Il n’en reste pas moins qu’une grande partie de ces effluents est stockée dans des lagunes de plusieurs milliers de m3, puis épandues sans traitement sur les champs, où les pluies peuvent les lessiver et transporter vers les cours d’eau et les plages les bactéries et virus résiduels. Et justement, même si leur cartographie est là aussi inaccessible aux citoyens, il y a de nombreuses zones d’épandages d’effluents sur le bassin versant du ruisseau de Melon. Si ces effluents sont à l’origine d’une partie des pollutions du ruisseau de Melon, il n’y a donc aucune chance que disparaisse la pollution de la plage de Melon du seul fait du détournement vers Lanildut des effluents de St Dénec.

Avant de lancer des travaux coûteux aux résultats incertains, une étude des pollutions à Melon aurait pu permettre d’identifier la source et l’origine (humaine ou animale) des pollutions ; il ne semble pas qu’une telle étude ait été conduite.

Le mystère des eaux de baignade en Iroise

Il est intéressant de rapprocher le cas de la plage de Melon de celui des autres plages de l’Iroise

Toutes les plages où arrive un ruisseau y présentent en effet les mêmes symptômes, même lorsque le ruisseau ne reçoit les eaux d’aucune station de traitement d’eaux usées domestiques. En cas de fortes pluies, les taux de polluants microbiologiques s’y affolent dans les analyses conduites par l’ARS (les deux marqueurs suivis sont Escherichia Coli et les entérocoques intestinaux, associés aussi bien aux effluents humains qu’animaux). On peut expliquer (comme le fait l’ARS, qui a refusé de transmettre les résultats, pourtant publics, des analyses qu’elle a utilisés pour le classement des baignades, ou éliminés de ce classement) que l’origine de la pollution est la pluie ; on peut aussi se demander si ce n’est pas le lessivage par ces pluies de sols gorgés d’effluents qui est à l’origine de ces pollutions souvent simultanées. Il est difficile d’en savoir plus, les communes ayant mis en œuvre depuis quelques années des mesures de « gestion active » (fermeture préventive des plages lorsque la pluie est annoncée) qui conduisent de fait à éliminer des statistiques les analyses pendant ces périodes, et à améliorer miraculeusement le classement des eaux de baignade de l’Iroise : longtemps de qualité insuffisante ou au mieux moyenne, ces plages sont en effet bizarrement redevenues excellentes depuis que cette politique est mise en œuvre.

La CCPI aurait commandé en 2018 (à la chambre d’agriculture, ce qui n’est pas la garantie d’une évaluation indépendante) une étude pour analyser l’hypothèse des pollutions agricoles ; les résultats de cette étude ne sont apparemment toujours pas disponibles en 2020.

Les ANC, cause invisible des pollutions ?

Si l’on élimine les pollutions issues de l’assainissement collectif et celui des élevages, la dernière source possible de pollution est constituée par les ANC non conformes. La CCPI met régulièrement en avant cette cause possible, qui n’a apparemment été confirmée que dans quelques cas locaux (pollutions provisoires). Le contrôle et la mise au norme de ces ANC sont pourtant de la compétence de la CCPI depuis 2005, qui n’est semble-t-il pas en mesure de rendre compte de ses efforts dans ce domaine, et n’a toujours pas publié le rapport réglementaire pour 2018.

Le dossier St Dénec-Lanildut est l’occasion de s’interroger sur la gestion par la CCPI des questions relatives à la qualité de l’eau. Cet enjeu est essentiel pour les citoyens de la communauté de communes :

La qualité de l’eau en Iroise, un sujet qui échappe aujourd’hui aux citoyens

Le dossier St Dénec-Lanildut est l’occasion de s’interroger sur la gestion par la CCPI des questions relatives à la qualité de l’eau. Cet enjeu est essentiel pour les citoyens de la Communauté de communes :

  • D’abord, c’est un enjeu de santé publique, les baigneurs et tous les pratiquants des sports nautiques en Iroise étant exposés aux conséquences des contaminations microbiologiques ;
  • C’est un enjeu d’attractivité pour le territoire, qui mise avec raison sur son littoral pour attirer des touristes, des promeneurs et des pratiquants des sports nautiques ;
  • C’est un enjeu économique, les usagers des services publics de l’eau et de l’assainissement payant aujourd’hui très cher un service manifestement insatisfaisant et insuffisant ;
  • Enfin, c’est un enjeu citoyen : c’est au nom des citoyens que sont prises les décisions dans ce domaine.

Aujourd’hui, les décisions concernant l’eau et l’assainissement sont prises dans une très grande opacité, sur la base de dossiers dont les élus, et encore moins les citoyens, n’ont aucune connaissance. C’est ce mode de décision qui aboutit à des projets comme celui du détournement vers Lanildut des eaux usées de St Dénec. 

Il est essentiel à l’avenir :

  • Que la gouvernance de l’eau soit améliorée au niveau de la CCPI, avec des décisions transparentes, motivées, des études sérieuses et accessibles, et la participation des citoyens (création d’une commission consultative des services publics locaux, CCSPL, obligatoire à partir de 50 000 habitants – population atteinte par la CPPI en 2020)
  • Que les attributions correspondantes soient confiées à des élus non susceptibles de  conflit d’intérêt en matière de qualité de l’eau ;
  • Que les rapports réglementaires soient publiés dans les délais ;
  • Que soient menées des études sérieuses, réalisées par des organismes techniques indépendants, pour identifier les sources de pollution (microbiologique et chimique) des eaux sur le territoire de Pays d’Iroise Communauté ;
  • Enfin, que la solidarité amont-aval soit réellement mise en œuvre : il est anormal que les charges financières (comme le financement des stations de traitement et le coût du traitement des pollutions) ne soit pas équitablement répartis entre les communes littorales, qui subissent toutes les pollutions, et les communes de l’intérieur qui en génèrent une bonne partie.

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